- ACCOMPAGNEMENT MUSICAL
- ACCOMPAGNEMENT MUSICALLa notion d’accompagnement est directement liée à l’état actuel de la musique, c’est-à-dire qu’elle n’est explicable que si l’on tient compte de l’évolution historique qui a amené cet art au point où il en est aujourd’hui. Pour nos contemporains, l’accompagnement, c’est l’office d’une personne qui, assise devant un piano, soutient les efforts mélodiques d’un chanteur ou d’un violoniste; c’est aussi celui d’un chef d’orchestre qui, attentif au travail du soliste, lui prête main-forte à la tête de ses musiciens. Ce terme contient à la fois une nuance péjorative et beaucoup de bonne volonté. En fait, l’accompagnement, c’est ce qui fait le propre de toute notre musique occidentale depuis plus de cinq siècles.Monodie et contrepointLa mélodie a été l’unique forme d’expression musicale de nos pays pendant des millénaires; et la seule audace extramélodique de nos plus lointains ancêtres a consisté à inventer la «pédale», cette note continue que nous retrouverons dans les «musettes» et qui, dans la musique gréco-romaine, servait parfois de pivot à une monodie qui s’enroulait autour, comme les rubans d’un mirliton. À cette époque, les audaces des compositeurs se limitaient par force au champ de la mélodie et les raffinements se bornaient à couper les tons et les demi-tons en quatre. Vint le jour où, par un calcul purement intellectuel, des musiciens eurent l’idée de faire entendre simultanément deux, puis plusieurs mélodies: c’était la naissance du contrepoint, avec son cortège inévitable de règles a priori, qui, par l’accoutumance, allaient bientôt devenir l’expression d’aspirations innées.D’accompagnement, il n’est toujours point question. En effet, chacune des mélodies qui s’imbriquent en contrepoint conserve sa vie propre, authentique, et aucune n’est au service des autres. L’accompagnement naîtra seulement le jour où l’harmonie apparaîtra. Évidemment, la simultanéité de plusieurs lignes mélodiques, dans le contrepoint, donnait dès l’abord naissance à des harmonies; coupé comme un saucisson, dans le sens transversal, le discours musical laissait tout naturellement apparaître la trame des accords, issus des rencontres fortuites des mélodies. Mais, tant que, dans la polyphonie, ces différentes mélodies conservaient leur autonomie, l’harmonie n’était qu’une résultante.L’accompagnement, au sens actuel du terme, va faire son apparition le jour où, habituée par le contrepoint à une pâte sonore différente de la monodie, l’oreille occidentale ne pourra plus entendre de ligne mélodique sans un cortège harmonique inséparable. À partir de ce moment, la nécessité intellectuelle du contrepoint n’a plus de corollaire auditif; ce qui compte pour l’auditeur, c’est que la mélodie soit toujours énoncée avec un contexte harmonique: bref, qu’elle soit accompagnée .Harmonie et basse chiffréeDu jour où l’harmonie se détache du contrepoint pour assumer son propre rôle dans le discours musical, l’accompagnement, au sens moderne du terme, commence d’exister. Et il est curieux de constater que l’on passe d’un extrême à l’autre. Autant le contrepoint accordait d’importance au déroulement de toutes les parties du discours, autant l’époque dite «harmonique» va, pour ainsi dire, négliger tout ce qui ne sera pas la mélodie. En effet, par une sorte de paradoxe, l’âge d’or de l’harmonie traitera cette dernière comme une parente pauvre.On sait que tout accord , se composant par exemple de trois notes, possède la même dénomination, quelle que soit la disposition des notes par rapport à la basse. Qu’on écrive en effet, en partant du bas, do -mi -sol ou do -sol -mi , il s’agit toujours du même accord parfait. Si l’on ajoute que, épris de classification, les harmonistes se sont ingéniés à «chiffrer» tous les accords, c’est-à-dire à les désigner commodément par des chiffres, on verra que, alors que le contrapontiste mettait une importance majeure dans la disposition des parties au-dessus de la basse, l’harmoniste aura la faiblesse de ne considérer que la «nature» de l’accord. Peu importe dès lors que le mi soit au-dessus ou au-dessous du sol : l’essentiel, c’est que l’accord soit respecté.Cette façon de considérer l’écriture harmonique, dans sa théorie plus que dans son application pratique, va faire naître une étrange coutume, qui tiendra bon pendant trois siècles. Ce sera l’habitude que prendront les compositeurs de ne noter, sous la mélodie, que la basse, et de n’indiquer les parties intermédiaires que par le chiffrage de l’accord choisi. C’est assurément la pratique de la musique instrumentale qui rendit plausible cette manière d’agir, exactement de la même manière que, de nos jours, les guitaristes ou les accordéonistes de variétés sont accoutumés à jouer des accords simplement chiffrés.Mais ce qui est acceptable dans le domaine de la simple chanson devient troublant lorsqu’il s’agit de styles plus nobles ou plus sévères. Pourtant, le XVIIe et le XVIIIe siècle n’ont connu, en grande partie, que des accompagnements chiffrés. Il fallait, dès lors, au moment de l’exécution, transcrire pour le ou les instruments la volonté chiffrée du compositeur: cela laissait évidemment à l’interprète une très grande liberté. Cette liberté fut, bien entendu, codifiée; des «modes d’emploi», différents suivant les écoles, furent mis au point afin de faciliter le travail des interprètes. C’est ainsi qu’en Italie les clavecinistes n’avaient droit qu’à deux notes à la main droite et qu’en France les mêmes interprètes avaient la possibilité d’en utiliser trois. Cette transcription du dernier moment, qui laissait une très grande part à l’imagination de l’instrumentiste, pour ne pas dire à l’improvisation, s’appelait la «réalisation». À cette époque où le style musical était pratiquement le même pour tous les compositeurs, où la langue était identique pour tous, les interprètes avaient une grande habitude de cette gymnastique; automatiquement, leurs doigts trouvaient sur le clavier les accords correspondant aux chiffrages indiqués par les auteurs; et leur bon goût – ou leur mauvais goût – était seul responsable de la disposition définitive des notes, c’est-à-dire de ce qu’entendait l’auditeur.De nos jours, les interprètes n’ont plus ce talent, sauf exception; il a donc fallu que des «réalisateurs» écrivent la transcription définitive de toutes les œuvres des XVIIe et XVIIIe siècles, afin d’en permettre l’exécution par nos contemporains. Depuis quelques années seulement, la jeune école des clavecinistes français se tourne efficacement vers les problèmes de la réalisation; de nouveau, les interprètes sont capables de jouer les œuvres anciennes au seul vu du chiffrage original.Accompagnement et compositionIl était plus que normal qu’une réaction se produisît. Elle eut lieu dès la fin du XVIIIe siècle, au moment où les compositeurs prirent conscience que les interprètes les trahissaient trop souvent au point de vue de l’«étagement harmonique». Le même phénomène allait d’ailleurs se renouveler quelques dizaines d’années plus tard, lorsque Rossini, irrité des libertés que prenaient les cantatrices dans les cadences laissées jusque-là à leur improvisation, se mit à en écrire toutes les notes... C’est, bien entendu, l’écriture orchestrale qui, la première, bénéficia des soins des compositeurs. Découvrant les joies et les richesses de l’instrumentation, ces derniers se refusèrent à laisser à des exécutants le soin de déterminer l’accomplissement sonore de leurs partitions; continuant toujours à laisser la bride sur le cou aux instrumentistes à clavier, ils se mirent à étendre leurs recherches instrumentales dans le domaine de l’orchestre; le XVIIIe siècle tout entier est plein de joyeuses et merveilleuses découvertes sonores, qui sont à la base de notre orchestration moderne.Pour que l’accompagnement au clavier prenne, lui aussi, le même tournant, il faudra attendre la fin du siècle. Passant d’abord par le stade de la réalisation exactement écrite par le compositeur, cet accompagnement va en arriver bientôt à une forme pour ainsi dire «personnalisée»; le soutien du chant – ou de toute ligne mélodique instrumentale – va acquérir une originalité, une vie, un caractère propres. Après s’être contenté, pendant des siècles, de raffiner sur la simple ligne mélodique, le compositeur s’aperçoit qu’il peut également donner tous ses soins à cet «accompagnement» jusque-là négligé.Cette évolution suit d’ailleurs à peu près exactement les progrès effectués dans le domaine de la facture des instruments; le piano, succédant au clavecin, ouvre de nouveaux horizons aux musiciens. L’écriture pour clavier va aussitôt en profiter, et l’accompagnement va suivre presque immédiatement. Là est la raison véritable de la naissance de la mélodie et du lied. Dépassant le stade du simple chant accompagné tel qu’on le pratiquait au XVIIIe siècle, la mélodie requiert, en effet, une participation presque égale à celle du soutien harmonique. Ce dernier, d’ailleurs, demande désormais à être totalement précisé. En effet, pendant des siècles, la mélodie dite «classique» ne pouvait s’accommoder que d’un seul tissu harmonique: il n’y a, par exemple, qu’une seule manière légitime d’harmoniser Au clair de la lune . C’est ce qu’on appelle, dans les classes d’harmonie, la «bonne» harmonie. Du jour où les styles musicaux vont s’évader des limites trop strictes du langage tonal, les compositeurs ne pourront plus compter sur l’évidence de l’éventuel soutien harmonique. Il leur faudra écrire totalement leurs intentions. C’est ainsi que, vers le début du XIXe siècle, naissent ensemble, des deux côtés du Rhin, le lied et la mélodie.À ce tournant de l’évolution musicale, l’accompagnement voit son rôle changer quasi totalement. D’humble serviteur de la ligne mélodique, il devient acteur à part entière dans le discours musical. Son office conquiert une importance et une noblesse toutes neuves: le compositeur compte sur lui autant que sur la mélodie pour achever son œuvre.On en arrive, dès lors, à notre époque, à une situation presque paradoxale: cet accompagnement, traité jadis avec condescendance par les compositeurs et laissé aux soins des ouvriers spécialisés qu’étaient les exécutants, prend désormais une importance majeure. Non seulement il rattrape, sur ce plan, la mélodie, mais il la dépasse. Sa complexité passe pour être une preuve de qualité, et les compositeurs actuels se croiraient déshonorés s’ils ne mettaient pas toute leur science, tout leur art dans un accompagnement qui, souvent, se développe aux dépens mêmes de la mélodie.
Encyclopédie Universelle. 2012.